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un mur à berlin
Ecarlate
--> Triste soir

Il est des tâches qui semblent ne jamais vouloir s'effacer. Même lorsqu'elles ont été lavées du tissu, de la peau. Il est des larmes qui semblent ne jamais vouloir sécher.
Je verrais toujours mon jean, mes mains, baignés de son sang. Je la reverrais toujours, effondrée en robe de chambre, baignant dans son sang, les poignets ouverts.
Lorsque je suivais ma formation de secouriste, lorsque je dis que je veux devenir médecin (humanitaire, si j'en ai le cran, comme je dis), je me demandais, je me demande comment je réagirais, une fois confrontée à la réalité.
Hier (ou très tôt ce matin ?), la réalité m'a rattrappée.

Je ne vous parlerai pas, pas aujourd'hui, du chantier en lui même. Pour l'instant, j'ai besoin d'exorciser cela.

La réalité est un cri. Un cri poussé par un M, complètement paumé, qui sort en courant de la chambre des filles, qui me croise, et qui crie à moitié A s'est coupée avec son rasoir.

Je cours. J'entre. Je la vois. Au loin, j'entends la rumeur de M qui rameute les autres, leurs cris, entre panique, et choc. Mais j'en ai à peine conscience. La réalité me saute au visage, la réalité est faite de contrastes, les poignets ouverts, la propreté de la chambre, sa peau si blanche baignée d'écarlate, le peignoir qui s'impreigne, le silence d'il y a un instant, ses sanglots déchirants, ses hoquets de panique, ses pleurs, et les cris des autres, qui retentissent soudain.

Sans même que j'en aie conscience (ce n'est qu'après coup que j'aie réfléchis), les réflexes qu'avaient tenté de m'inculquer les formateurs en secourisme me reviennent. Mes paumes n'ont pas de plaies, alors vite, vite, je lui saisis les poignets, et je compresse. Tous affluent dans la chambre, qui paniquant, qui stupéfait les yeux écarquillés, reste dans le passage sans prendre conscience de la gêne, qui voulant aider sans savoir que faire. Les pleurs de A redoublent. Je demande, vite, vite, pour ne pas me laisser gagner par la panique, à ceux qui veulent m'aider, de faire sortir ceux qui paniquent, de m'apporter des compresses et surtout d'appeller . Alors que j'ordonne tout ça, alors que j'applique des compresses et que je comprime à nouveau, j'ai l'impression suréaliste d'un détachement extrème, j'ai conscience de la situation, je prends conscience de chaque détail, et j'agis presque en automate. J'attends que arrive.

Je sais que B n'est pas loin. B, je lui ai parlé il n'y a pas longtemps, puis il est parti, pour téléphoner. Je sais qu'il n'est pas loin, parceque c'est un responsable, et que le directeur est sorti, alors il est forcément dans le coin. J'attends B. B, ici, même s'il n'est là que depuis peu de temps, je le vois un peu comme un grand frère. Il a à peine 20 ans. Il essaie, comme le directeur, de me convaincre de revenir en tant qu'animatrice l'année prochaine. Alors on parle beaucoup, de ses expériences en tant qu'animateur de chantier. Justement il en a peu. A la base il n'est pas animateur. Il taille des pierres. Mais depuis quelques mois il a passé le BAFA et il encadre des chantiers. Il donne l'image d'un mec bien, naturel. J'attends que B arrive. J'attends de lui qu'il résolve la situation. Il doit savoir que faire. Il est obligé. Parce que j'ai bien conscience, que maintenant que j'ai pratiqué les premiers soins, cela n'est pas terminé, et que je ne peux rester éternellement assise devant A, essayant de la calmer, en lui tenant les poignets comprimés.

B arrive. Et soudain il a l'air très jeune. Il a de grands yeux. Immenses. Il est inquiet, il a peur. Je le regarde. J'attends. Je sens l'inquiètude qui monte en moi. Et soudain il décide, on va à l'hôpital.

Il est inquiet B. Il va prévenir le directeur, lui demander de rentrer surveiller les autres. Puis ils nous emmène en voiture à l'hôpital. Ils sont loins ces hôpitaux de campagne. Jamais quinze kilomètres m'auront paru  aussi longs. B est inquiet. Il conduit vite, le plus vite qu'il le peut sans être dangereux. Tenant A par les bras, et A étant éffondrée à mon côté, tremblante, pleurant, je n'ai pu attacher nos ceintures. Ca secoue les routes de campagne. J'essaie d'aider A à s'apaiser. J'ai l'impression que mes caresses, mes paroles, mes gestes (limités par la nécessité de toujours comprimer les plaies), que toutes ces tentatives maladroites d'aider meurent dans le néant. Elle parle. Un peu. Je ne distingue que je n'en peux plus, je n'en peux plus, aidez moi.  Je ne me suis jamais sentie aussi démunie, inutile. Jamais trajet en voiture ne m'aura paru aussi long. A s'apaise un peu. Ses sanglots s'apaisent, ses tremblements cessent, mais ses larmes coulent sans discontinuer. Je continue à murmurer pour essayer de l'apaiser. Je continue d'avoir l'impression d'agir en automate, de ne rien ressentir vraiment. Alors que je lui demande si elle a pris quelque chose, des cachets, ou autre, je remarque soudain d'incorruptibles étoiles qui brillent obstinément par dessus son épaule. Cette paisible image de campagne endormie sous des grappes d'étoiles me parait surréaliste. Je ne sais pourquoi cette instant reste si vivement gravé en moi.

L'entrée des urgence est glauque, comme seul un hôpital qui semble désert peut l'être à 1h du matin. L'infirmière installe A sur un lit, lui désinfecte ses plaies, marmonne quelquechose, me conseille d'aller me laver les mains. En baissant mes yeux je vois mes mains écarlates, mon jean maculé de sang.
Je retourne près d'A. Elle a pris un air bravache, ses larmes se sont un peu taries. Elle me demande de rester avec elle. Je repousse ses mêches de cheveux, lui essuie ses larmes, essaie de lui parler. J'agis sans avoir conscience de ce que je fais, mes mains, semblent inventer seules de nouveaux gestes, ma bouche de nouvelles paroles. B a l'air assomé.

Le médecin arrive, enfin, nous fait sortir, B et moi. On attend. Nos regards se croisent. Il esquisse un faible sourire. Un sourire triste. Soudain, A jaillit hors de la salle. Je la retiens. Qu'il y a t il ? - Le mec c'est un malade, il veut m'hospitaliser pour ça, il veut pas me laisser partir si je ne parle pas. Je ne veux pas rester, je ne veux pas rester. Je m'en fous, je ne veux pas rester.

De toute manière elle n'a pas le choix. Le médecin veut parler à B, le responsable. Je reste à parler avec A. Elle m'a raconté son histoire. Je sais son secret, je sais ce qui la ronge, ce qu'elle a subit. Je sais qu'elle veut le dire, sans l'oser, qu'il suffirait d'un déclic. Qu'elle appelle à l'aide, de plus en plus désespérement. J'essaie de la persuader, sans penser y parvenir, que c'est peut être une chance à saisir, Tu sais, on veut t'aider, ils veulent t'aider, mais là, il faut que tu les aide à te comprendre, il faut que tu leur donne un coup de pouce pour qu'ils puissent t'aider. Jamais je n'ai eut l'impression de débiter autant de platitudes.

Finalement, elle est entrée volontairement à l'hôpital. Un oui, faible, mais un oui quand même, petite victoire sur elle même, même si le plus dur reste à faire. Deux heures, et un trajet en ambulance plus tard, B et moi la confions à un autre hôpital, non loin. Encore des médecins, encore des paperasses, encore de l'attente. On se fait nos adieux, puisque je dois partir le lendemain, puisque le chantier est fini.

B et moi sortons enfin de l'hôpital. Il est toujours aussi tendu, tristesse, inquiétude. L'autoradio est fort. Presque trop. Mais je me concentre dessus. Je veux éviter de penser Tu savais qu'elle n'allait pas bien. Tu le savais, ce n'est pas pour rien qu'elle est venu te parler alors que tu parlais avec B. Tu savais qu'elle avait déjà fait des TS.... Tu aurais dû... Je ne veux pas penser. Je ne sais que trop bien ce que j'aurais dû. Mes pensées ne sont que l'écho de mes remords. Je me ronge consciencieusement mes ongles. A coté, B grille clope sur clope.
Il tourne la tête. Ca va ? Je hausse les épaules. Je ne sais pas quoi dire. J'ai peur d'éclater en sanglots. Non, ça ne va pas du tout. Mais je ne veux pas lui imposer ça, parceque lui non plus ne va pas bien, parcequ'il a été très secoué, parcequ'il n'a pas besoin de ça en plus. Alors je hausse les épaules.
Et toi ?
Il hausse les épaules.
Il fait noir, mais je jurerais, que sur sa joue, comme sur la mienne, une larme solitaire coule.
Il y a des moments qui se passent de paroles.

Retour au camp. Certains dorment, ou somnolent. La plupart ont veillé et une fois rassurés, sortent prendre l'air. S, qui avait cultivé son image de gros dur, de racaille tout au long du chantier, fait les cent pas, et nous confie avoir bu café sur café, être mort d'inquiétude.

B et moi restons seuls dans la cuisine, devant nos tasses de café. Je fixe ma tasse, l'air obstiné. Mon calme artificiel qui ne m'avait pas lâché de toute la nuit commence à se fendiller. Je lève les yeux. B fixe aussi sa tasse. Il lève les yeux. Nous lâchons ensemble un faible ca va ? Et il ajoute, tu sais je voulais dire : tu as vraiment assuré, franchement, bravo. Je suis à deux doigts de craquer, alors vite, vite, je bois mon café presque brûlant, abominablement corsé (S fait du café infect, même en temps normal), pour étouffer un sanglot qui monte, parce que B est crevé, parcequ'il a l'air choqué, très choqué, et qu'il n'a sans doute pas besoin de ça. J'essaie d'avoir l'air forte. De retrouver mon calme. Je marmone un vague oh, j'avais passé ça au lycée.. en secourisme... - l'AFPS, précise t il à ma place. Il n'y a rien à ajouter. Nous buvons chacun notre café en échangeant des sourires amers. Chacun sait à quoi l'autre pense. à A.

B va dormir. Je ne m'en sens pas capable. Je me plante devant la télé, dans la "grande salle", avec S. Il regarde une rediffusion d'un concert de Saez. Je m'y accroche, je marmonne des chansons. Tout faire, sauf penser, penser, Tu aurais dû....

Déjà c'est le petit matin, le directeur et B amènent le reste du groupe à l'arrêt de bus (mon train à moi est plus tard). Je boucle mon sac en silence, il n'y a plus d'autre fille que moi dans la chambre désormais. A aurait du être là.
Je sors prendre l'air. B et le directeur viennent de rentrer, nous sommes seuls tous les trois. Je m'assied, seule dehors, pour regarder le jour se lever, dans une mince tentative de résister au sommeil... Je ne veux pas, je ne veux pas dormir. Mais alors que je somnole malgré moi, assise sur les marches devant notre bâtiment, j'entends quelqu'un qui sort. C'est B, qui range des affaires dans sa voiture. Il me glisse son oreiller. Dors, tu sais, il n'y a pas de mal à dormir... Ca fait trois semaines que je n'ai pas vu un oreiller. Le sien est vaste, moelleux, sécurisant. Ces quelques mots m'ont apaisée. Je le cale sur mes genoux et me pelotonne. J'ai envie de le remercier d'avoir sut ce qu'il fallait me dire, mais il s'est déjà éclipsé.

Quelques heures plus tard, quelques discussions plus tard, il faut partir. Je lui fait la bise A bientôt peut être lance t il. (Lui et le directeur n'ont pas renoncé à l'idée de faire de moi une animatrice). Je sais que je le reverrai sans doute, puisque je pense y retourner l'année prochaine, au moins, en tant que bénévole, ou bien à une réunion de l'association. J'espère vraiment le revoir. Mais même si je ne le revois pas, je ne l'oublierais pas. Il y a des choses qu'on vit ensemble, et qui créent des liens, ou du moins c'est ce qui s'est passé cette nuit.

Lorsque le bus qui m'emmenait à la gare a démarré, j'ai soudain fondu en larmes, d'épuisement, de décompression, mon beau calme m'abandonnant d'un coup.

Quelques larmes tombent sur mon bureau. Je pense à A, que je ne reverrai sans doute jamais. Je me demande ce qu'elle pense en ce moment. Si elle a put se confier, expliquer, si elle se fait aider.
Je pense à B, à son visage tristement buté d'hier soir, à son mal être mal dissimulé de ce matin, que j'ai aussi facilement détecté que je sentais le mien.
J'espère qu'il a, lui aussi, trouvé ses larmes.

(pardon pour le côté confus, pour la longueur. Ne cherchez pas forcément de logique à ce post. Ni morale, ni logique. Il répond juste à un besoin de d'exorciser tout ça. Je sais que certain trouveront peut être que je parle beaucoup de B et peu de A et s'en étonneront, mais il y a une raison à celà : c'est triste à dire, mais je sais pourquoi A a fait cela. Ce qui m'a choqué, ce que j'ai besoin d'évacuer, c'est justement le choc qu'un tel acte sucite chez les autres. (Je parlerai peut être du chantier en lui même, dans un autre post. je ne sais pas. je ne pouvais penser à rien d'autre que cela pour l'instant)).

Ecrit par Villys, le Samedi 23 Août 2003, 23:57 dans la rubrique "Cercle de peine".
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Commentaires :

Mary-Gin
Mary-Gin
24-08-03 à 04:17

J'ai tout lu en entier comme dans un état second..
Déjà, mais tu le sais sans doute, tu as merveilleusement réagi, tu as été là pour A. et c'est le plus important.. Beaucoup de gens auraient perdu leurs moyen et...
[.. et j'aurais aimé qu'il y a des gens un peu comme toi quand j'étais dans le cas de A]

Courage.. C'est de ces choses qu'on oublie pas, et qui se trouve sur notre route, je sais pas pourquoi.

[Kohva]


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Villys
Villys
26-08-03 à 23:26

Re:

Merci...

...Ce n'est pas moi qui ait vraiment besoin de courage... C'est elle...

...Quelque soit le choc, j'aurais aimé être là pour t'aider toi aussi... Plutôt que de t'imaginer seule...

Je te renvoie tes encouragements... Tu en as plus besoin que moi je crois...


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Kolia
Kolia
24-08-03 à 13:55

Bein je vois pas grand chose à rajouter sinon que t'as fait ce qu'il fallait. Passer son AFPS (son brevet de secourisme) c'est 50 euros à la Coix rouge pendant un week end et c'est vraiment une bonne chose à faire. Parole de quelqu'un qu'à fait un massage cardiaque et du bouche à bouche à un randonneur en petite rupture d'anévrisme un mois et trois jours après avoir passé ce fameux AFPS...

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exvag
exvag
24-08-03 à 21:58

Je ne trouve pas les mots qui conviennent pour commenter ton post.
J'ai été ému, beaucoup en te lisant.

Je comprend que tu ai eu besoin d'exorciser ce moment.
Je crois que malheureusement, nous ne sommes pas prêt pour ce déferlement de violence.

la peur, la panique, la douleur ...

Quand arrive un accident comme celui là, personne ne peut prévoir comment il réagira.

Bravo à toi d'avoir gardé ton sang froid,
En devenant médecin, tu sera peut être plus habituée à voir du sang.
Mais je crois qu'on ne deviens jamais insensible.

Tu es quelqu'un de très bien Villys

(tu vaux mieux qu'une mémère à chat)


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Villys
Villys
26-08-03 à 23:20

Re:

merci Exvag. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre. Ca m'a fait très plaisir de voir vos messages à tous, et le tien...

Merci pour ton message, il m'a beaucoup touchée.
Il paraît qu'on se blinde, oui, plus ou moins... Mais j'espère ne jamais être vraiment insensible.

Merci l'ours.

(toi aussi tu es bien plus qu'un ours grognon)


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Aerdhyl
Aerdhyl
25-08-03 à 19:19

waouh !!

c'est... ca me laisse sans voix...

un témoignage de cette intensité... j'ai eu l'impression d'être avec toi dans l'ambulance, à l'hôpital...

Je comprends ton besoin d'exorciser cette nuit... ca doit être presque traumatisant...


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Kabotine
Kabotine
26-08-03 à 12:10

... c'est la vie Villys... Elle est plus tendre pour certains, moins pour d'autres...

J'ai vécu un truc semblable quand j'étais étudiante, un copine s'est ouvert les veines dans ma sdb.... Je comprends ton déssaroi, ton incompréhension, les pourquoi, les comment...

C'est, malheureusement, juste la vie...

Courage, accroches toi, toi, tu as plus de chance... profites en, sans culpabiliser !

bizoux !


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linkback
linkback
26-08-03 à 15:00

Lien croisé

Ainsi soit Je... : " S'il y a un récit à lire en ce moment, c'est celui-la : Villys' bolge - m'a laissé sans voix tellement il est prenant, et tragique..."

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an-droid
an-droid
27-08-03 à 15:51

j'ai passé mon AFPS, y'a qqs zannées aussi.
je me suis encore jamais vraiment servie de ce que j'ai appris. je sais pas comment je réagirais. j'aimerais bien réagir comme toi. (tu es mon nez-roïïïne)

et puis pour les "tu aurais du", dis toi que tu n'as pas, que ça n'aurait pas forcément éviter ça, ou que ça l'aurait retardé, à un moment où ça ne se serait peut-être pas fini comme ça...
on ne sait pas, on ne peut pas savoir...

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Lili-la-tigresse
Lili-la-tigresse
27-08-03 à 16:41

Et si la chance c'etait de l'avoir fait quand tu etais la? et pas seule?

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